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Radio live : Désobéir par Caroline Gillet et Aurélie Charon

Dans le cadre du festival Le Livre à Metz (9 - 12 avril) ayant pour thème « mauvais genre », deux journalistes nous ont proposé une expérience de radio live. Compte-rendu.

DÉSOBÉIR ! Quand la jeunesse devient subversive
témoignages d'Algérie, de Russie, du Bangladesh > contre l'autoritarisme, le conservatisme religieux, le traditionalisme 



« Aurélie Charon et Caroline Gillet réalisent pour France Inter des séries documentaires qui font le portrait de la jeunesse dans le monde. 

A Metz, elles proposent une expérience de journalisme live : réunir des ‘personnages’ de leur série radio, des élèves de Terminale du lycée Julie Daubié de Rombas, et des jeunes ‘désobéissants’ d'ici et d'ailleurs, pour une conversation globale en son et en images. Il sera question des interdits à braver pour gagner sa liberté : d'expression, de religion, de sexe, de mode de vie... Un échange qui sera croqué en direct par l'illustratrice Amélie Fontaine. »


Il est 14h. La grande salle de l'Arsenal est comble. S'ouvre alors un dialogue d'une heure et demi. Aux côtés de Caroline et d'Aurélie, 3 invités, 3 personnalités, 3 jeunes désobéissants : Abdou Semmar d'Algérie, Anastasia Kirilenko de Russie et Sanjida du Bangladesh ; mais aussi des lycéens de Terminale qui ont tendu le micro à des gens d'ici, qui luttent pour le droit à la différence.
C'est l'occasion de réfléchir au sens de la liberté d'information, d'expression, d'opinion, de confronter nos démocraties aux régimes autoritaires qui subsistent partout dans le monde et de comprendre comment on lutte contre ces derniers, comment « désobéir » peut signifier autre chose que la seule révolte adolescente.

Pour débuter, un mix des nombreux témoignages recueillis par les lycéens nous est proposé. Même en démocratie, les libertés ne sont pas toujours respectées ou, du moins, sont doucement grignotées par le regard des autres. On entend parler de l'islam et du voile, d'homosexualité, d'immigration, d'une fille boxeuse, d'une autre entièrement tatouée, de téléchargement illégal, de lutte contre le nucléaire... tant de sujets qui nous amènent à prendre du recul par rapport à notre propre environnement. La désobéissance chez nous, c'est la lutte pour la différence, qui s'avère loin d'être achevée. On ne désobéit pas aux lois, au gouvernement ; on désobéit aux attentes des autres, aux normes sociales. Le combat est difficile, on se bat contre une force invisible. Personne n'ira vérifier ce que vos amis pensent de vous si vous portez le voile, personne n'ira chercher ce que signifie un regard lorsqu'il croise une silhouette tatouée... Pour autant, la peur de l'autre est partout. Le seul moyen d'action c'est alors les héros de l'ordinaire, ceux qui osent la nouveauté mais surtout ceux qui l'expliquent, la justifient, la transmettent pour permettre au plus grand nombre de ne plus en être effrayé.






Puis, la parole est laissée à Abdou, Anastasia et Sanjida. En quelques mots, le contexte : issus de pays autoritaires ou très traditionalistes, chacun a choisi de s'élever contre le gouvernement, contre la tradition. 
En Algérie, où Bouteflika est président depuis 15 ans, Abdou raconte le triple objet de sa lutte : les préjugés internationaux (non l'Algérie, ce n'est pas que des terroristes), le système gouvernemental autoritaire en place depuis l'indépendance, le conservatisme religieux qui "mélange spiritualité avec des idées dangereuses". Les armes du jeune homme : les réseaux sociaux et les nouvelles technologies. Journaliste à Algérie Focus, il met à disposition l'info-vraie et non celle manipulée par le gouvernement. Internet offre un nouvel espace de liberté, une alternative aux médias hyper-contrôlés. Pour l'anecdote, il nous explique comment le pouvoir a essayé de faire passer aux informations une manifestation étudiante en faveur de la démocratie et des les libertés pour des prétendues revendications contre l'augmentation du prix de l'huile. 

(c) Amélie Bonnin
Face à cette absence d'informations authentiques et neutre, la seule solution réside donc pour les jeunes algériens dans le cyber-activisme. Le concept de « citoyen-journaliste » se développe ; un téléphone portable, une caméra, un ordinateur, tout est utile pour faire éclater la vérité. Il nous raconte, par exemple, la fois où son équipe est parvenue à prouver que des élections locales étaient truquées et donc à les faire annuler pour qu'elles soient réorganisées démocratiquement. Une bataille de gagnée. Le chemin à parcourir est encore long mais la détermination d'Abdou, à l'image de milliers d'autres jeunes, laisse cependant entrevoir un changement proche. Son rêve dit-il, c'est « de virer les anciens du gouvernement », les « constipés du cerveau » comme il les appelle pour que la jeunesse algérienne puisse arriver en haut de la pyramide et entreprendre des vraies réformes.

En parallèle Anastasia parle de la sévérité du gouvernement-Poutine, des lois anti-homosexuels, de la censure omniprésente, de la limitation de toutes les libertés fondamentales. Encore un pouvoir qui ne parvient à se maintenir que par la force et la répression.
Elle revient sur l'action des Pussy Riots : puisque les mots ne peuvent être libres, que les manifestations sont interdites, seul l'activisme « corporel » subsiste. Ainsi, les actions provocatrices et choquantes se multiplient. La prière à un punk des Pussy Riots qui demande à la Vierge Marie de chasser Poutine est une attaque en règle au conservatisme religieux et aux supposées « bonnes mœurs » qui servent de prétexte à de multiples arrestations. Le directeur d'une galerie d'art s'est, par exemple, vu accusé d'atteintes à l'ordre publique et à la religion parce qu'il avait exposé des œuvres de nus.
Anastasia témoigne également du fossé générationnel présent en Russie. Alors que toute une jeunesse brûle de faire évoluer le pays, les grand-parents et les parents ont connu l'URSS, parfois le stalinisme et sont très « conformistes ». Aucun écart n'est toléré, les familles sont très traditionnelles ; ce qui explique d'ailleurs la forte opposition à l'homosexualité. Elle nous fait part de l'histoire terrible d'un ami homosexuel, qui l'a avoué à ses parents et qui s'est tout simplement vu répondre « Tu n'as plus qu'à te suicider. » Ce sont des mots violents qui révèlent, néanmoins, un état d'esprit plus général. Ainsi, à l'image d'Abdou, Anastasia s'est engagée. Elle est journaliste à Radio Liberté et chercher à rendre compte des abus du régime, donne à entendre la voix de toute une nouvelle génération, prête à changer. Elle-aussi n'attend qu'une seule chose : le départ de Poutine, au pouvoir depuis 15 ans seulement grâce à des élections truquées.

Enfin, Sanjida nous offre un témoignage qui pointe le poids des traditions et de la religion au Bangladesh. Elle s'est impliquée dans la lutte pour la liberté de culte et de conscience mais aussi pour le droit des femmes.
Elle rapporte l'histoire du bloggeur Aviiit Roy : il a écrit à propos de son athéisme et a cherché à promouvoir son ouvrage. Réponse sanglante, il s'est fait tuer devant tout le monde, sans que personne n'intervienne. À l'aide de cet exemple, Sanjida prouve toute l'intolérance religieuse qui existe encore dans son pays et qui pousse à commettre des actes barbares.
Aussi, elle fait part de son combat pour le droit des femmes. Elle aspire à ce que chacune obtienne une meilleure place dans la société, puisqu'elle sont, aujourd'hui, toujours reléguées au second plan. Sanjida ayant eu l'opportunité de faire des études, elle réalise à la fois de sa chance mais aussi le rôle qu'elle a joué. En femme instruite des villes, elle a le devoir de faire ouvrir les yeux à de nombreuses autres, résignées face à une telle situation. Elle parle notamment de son engagement au sein d'une ONG pour faire comprendre à des villageoises les droits légitimes qui doivent leur être accordés et pour qu'elles luttent, en conséquence à leur tour, pour leur obtention. 

Au terme de ces interviews, on ressort grandi, plus conscient du monde qui nous entoure. Ces trois voix semblent illustrer les combats de demain : gagner en démocratie, en tolérance, en ouverture, en libertés pour que plus personne ne puisse être inquiété de ses pensées, de ses opinions. De même, poursuivre la lutte pour la liberté des médias, qui portent un rôle primordial et qui sont un des piliers de l'évolution positive des sociétés. Abdou et Anastasia l'ont d'ailleurs très bien prouvé : tous deux sont journalistes... 

Sanjida - Abdou - Anastasia

Une belle émission s'achève. Il ne reste plus qu'à saluer le travail excellent accompli dans le cadre de ce radio live. Merci Caroline, Aurélie, Amélie. Merci aux lycéens de Rombas. Merci à Sanjida, Abdou et Anastasia.

Je vous invite à suivre d'autres liens afin de prolonger l'expérience/l'aventure/la réflexion.
> de nombreuses photos de l'événement + illustrations d'Amélie Fontaine https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10153211857695460&set=pcb.1114595071900736&type=1&theater
> les interviews complètes des lycéens 

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